L’été : saison des fermetures mythiques et des pétitions bidons…

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Je suis très énervée. C’est rare, je sais.

Mais quand je vois toutes ces personnes de bonne volonté qui transmettent un peu trop vite une pétition à signer, que je lis le texte de la pétition ou que je me renseigne en laissant mes oreilles ou mon regard traîner à gauche et à droite, je me dis « Faut que mes potes arrêtent ».

Et puis surtout, si je m’énerve ainsi, c’est que c’est un phénomène récurrent….

Eté 2011 : La fin annoncée de l’Arenberg et ses loyers impayés

L’an dernier déjà, de nombreux Bruxellois s’étaient émus de la fermeture annoncée du cinéma Arenberg.

Au gentil locataire ayant à coeur la culture de qualité, les messages avaient opposés un méchant propriétaire avide d’argent et prêt à écraser sous son talon un certain cinéma indépendant.

Surfant sur cette vision manichéenne du monde qui laisse entendre que quand on est pauvre on est forcément bon, pro-culture et pétris de bonnes intentions et que lorsque l’on est riche, on cherche évidemment à s’enrichir encore plus au détriment d’une certaine qualité, beaucoup ont donc signé une pétition pour « Sauver l’Arenberg ».

Celle-ci aurait récolté plus de trente mille signatures.

L’objectif de la pétition était triple. Il s’agissait pour l’Arenberg et les signataires de :

РP̩renniser ses activit̩s et sa programmation art et essai.

– Maintenir un projet culturel de qualité unique à Bruxelles.

РFaire pression sur le propri̩taire des lieux avec l'aide des pouvoirs publics.

Pour ma part, je n’adhère pas au troisième point et n’ai pas désiré faire pression sur une personne (ou un groupe de personnes) qui devrait accepter sous la vindicte populaire de ne pas être payé un élément aussi basique que le loyer mensuel…

Ceci étant dit, les nombreuses personnes qui ont signé la pétition ont transmis un message : la volonté de conserver un cinéma de qualité dans les Galeries royales.

Le Cinéma des Galeries a ouvert ses portes début 2012 et jusqu’à présent, mis à part le non renouvellement sous quelque forme que ce soit du très bon festival Ecran total, il semblerait que le public ne < > soit pas lésé par la programmation de la nouvelle équipe.

Eté 2012 : Fermeture du DNA dans un panier de linge sale

Cet été, c’est une nouvelle pétition qui circule à travers la toile… celle visant à sauver le café DNA qui a fermé ses portes le lundi 9 juillet 2012.

Une fois de plus, surfant sur l’émotion que suscite ce type de nouvelles, une pétition circule largement.

Pourtant à lire le texte, je m’interroge sur le fait que cela soit une bonne idée de s’associer à cette histoire.

En voici un extrait :

« La propriétaire des murs (qui n’a rien à voir avec la gérance du bar) refuse de renouveler le bail de l’établissement, sous des prétextes fallacieux et mensongers, qui sont à mille lieues de refléter la situation réelle à laquelle sont confrontés les gérants du bar, Julie et Thibaud.

Vol de leur courrier, harcèlement de la part de la Police, commérages en tous genres dans le voisinage, tout est bon pour mettre la pression sur les patrons et leur faire mettre la clé sous la porte. Leur bar serait géré n’importe comment, alors que c’est bien Julie qui a remis le DNA sur pied après des années de débâcle (la comptabilité peut en attester), et la clientèle serait devenue infréquentable voire dangereuseâ?¦ ou peut-être est-elle simplement devenue trop cosmopolite pour certains anciens habitués au crâne rasé. Toujours est-il que pas la moindre plainte pour une bagarre au DNA n’a été déposée durant les 2 années de la nouvelle gestion. »

Je n’ai aucune preuve de ce qui est avancé par les rédacteurs de la pétition et les accusations portées à la partie adverse, …

Quant à l’objectif de la pétition, il est clair, à la fin du texte :

« Par la présente, nous désirons donc couper court aux ragots et aux rumeurs, et marquer notre appui inconditionnel aux responsables du DNA. »

Il ne s’agit donc pas de sauver le DNA ! Il est demandé d’apporter son soutien à une partie dans une bataille judiciaire et d’estimer, sans connaître la version de la partie adverse, que les gérants du DNA sont dans leur bon droit !

Alors, curieuse, j’avais envie d’en savoir plus sur cette histoire et j’ai donc lu, avec la plus grande attention, un autre son de cloche, qui nous est donné par Jérôme Delvaux dans son article.

Il y donne son avis personnel et le lecteur est libre de le suivre dans ses idées ou pas (pour ma part, je « tique » sur certaines remarques que je n’approuve pas du tout). Mais, et c’est ce qui m’intéresse plutôt dans son papier c’est qu’il y reprend un peu d’historique et nous donne une version différente.

On y apprend que, là aussi, des loyers semblent impayés et surtout que les propriétaires des lieux sont … la même famille qui a créé, ouvert et développé le DNA !

De plus, loin de refuser de prolonger le bail, une interview de l’avocat du propriétaire nous apprend que le contrat a été résolu par voie judiciaire en juin 2012 !

Qui croire dans cette histoire au milieu de ce fatras d’informations ? Surtout quand nous n’avons pas toutes les données entre nos mains…. Usons donc d’un minimum de réflexion et de bon sens.

C’est ainsi que j’analyserai une seule donnée : le conflit autour du bail.

РLes g̩rants, qui occupent les lieux depuis deux ans nous informent que la propri̩taire refuse de renouveler le bail

– L’avocat de la propriétaire nous dit que ce bail a été résolu par voie judiciaire.

Quand je me penche sur le Code civil belge et en particulier le Livre III, Titre VIII, Chapitre II, Section 2bis: Des règles particulières aux baux commerciaux, j’y apprend en son article 3 que « La durée du bail ne peut être inférieure à neuf années. »

Il semblerait donc logique que le bail, certainement en cours depuis 2010, soit valable jusqu’en 2019 et que nous sommes donc très loin d’une discussion autour d’un prolongement de celui-ci… Tout porte à croire la version du propriétaire pour ce point précis. [Mise à jour : j’ai reçu et publié un droit de réponse de la part de l’avocat du propriétaire]

A noter que sur son compte Facebook, le DNA, loin de répondre aux arguments de l’auteur de l’article, se contente de relayer un vieil article de 2005 de Serge Coosemans où ce dernier « descend » Jérôme pour des raisons qui me sont fort obscures et qui n’ont absolument rien à voir avec cette affaire.

 

Au final, je remarque que, sans le vouloir, nombreux sont ceux qui parviennent à vouer aux gémonies ceux qui osent s’opposer aux gérants actuels et dans le même temps encensent ces propriétaires (sans deviner qu’il s’agit des mêmes) pour la création de leur bar…

Et si on créait une pétition qui indiquerait simplement que le public bruxellois désire conserver une adresse alternative, comme le DNA, sans entrer dans les détails des histoires entre parties privées ?

Et surtout, si nous arrêtions de faire les moutons et de signer la première pétition venue uniquement sur base de nos émotions ?

Parce que, comme je le dis bien souvent, la vérité n’est pas ailleurs : elle est partout. Mais par petits bouts !

Yelyam (à ne pas croire sur parole !)

18 COMMENTS

  1. Mea culpa. J’avoue avoir signé, pensant que l’unique but de cette pétition était la sauvegarde de ce monument culturel alternatif à Bruxelles. Je pensais juste que le

    Ce n’est que par la suite, que j’ai eu l’occasion, tout comme toi, de découvrir la version de Jerome (qui aime « provoquer » – je suis ses blogs depuis un bon moment).

    Je suis tout à fait d’accord. Il est en effet indispensable d’avoir au moins deux avis contradictoires avant de se faire une opinion.

    Bref, je me suis fait avoir, mais on ne m’y reprendra plus. Merci ;)

  2. On peut rajouter aussi la pétition contre la fermeture du bois de la cambre que personne ne comptait fermer ou pas?

  3. Salut Jef

    Je sais que la plupart des signataires le font pour une raison bien plus simple : sauver un lieu de culture. C’est un peu pour ça aussi que j’ai mis en exemple le cas de l’Arenberg, dont les signatures pour le sauver n’ont peut-être pas fait pression sur le propriétaire, mais ont certainement livré un message clair à celui-ci.

    Gageons qu’il y ait un repreneur du DNA qui aura envie de garder le DNA donc pas trop de regrets à avoir….

    Ceci étant dit, ce que j’explique ici est valable pour toutes les pétitions du monde pas uniquement celles autour des questions bruxelloises…

    Ah oui, et par rapport à Jérôme : j’ai aussi cru comprendre qu’il aime la provocation et je ne suis pas d’accord avec toutes ses idées. Mais je pars du principe que ce n’est pas parce qu’on ne partage pas les idées de quelqu’un qu’il a forcément tort tout comme ce n’est pas parce que je suis idéologiquement d’accord avec une personne qu’elle a forcément raison….

    Gardons les yeux ouverts et questionnons tout…(même et surtout ce que je raconte) ;-)

  4. Bien vu Mazout Hostile !! Oui, je crois que les exemples sont nombreux, ce serait pas mal de les lister tiens !!

  5. Précisons tout de même que la question liée aux Galerie Aremberg fait très très long feu. Par exemple, je me souviens avoir, il y a quelques années (peut-être 5 ans), acheté des parts de la la société pour qu’elle puisse continuer à fonctionner… alors qu’ayant déménagé en province, je n’y allais plus depuis vilaine lurette. A l’époque, il y avait des projets sur la table pour transformer ce lieu en espace multimédia blablabla.

    Quant au DNA, si je n’ai pas signé cette pétition, j’ai tout de même relayé l’information (très sibylline) de sa fermeture. Et pourtant, je ne suis plus quelqu’un qui fréquente ce lieu.

    Alors, d’où vient cette engouement et cette mobilisation ? Yelyam a raison quand elle dit que « les gens » veulent sauver des lieux de culture. Mais pour aller plus loin, je pense que les Bruxellois veulent surtout sauvegarder des lieux d’exception, des jalons culturels et géographiques dans Bruxelles qui rivalisent avec la pensée unique et la marchandisation à outrance de leur vie sociale.

    Les Bruxellois en ont assez de ce bastringue commercial qu’est devenu l’ilôt sacré. Et pourtant… La meilleure parade contre cet appauvrissement socio-culturel serait que les Bruxellois fréquentent les « lieux d’exception culturelle ». Or, on sait que ces derniers souffrent d’un manque de fréquentation et de rentrée financière. On peut donc se demander si ces lieux ne sont pas d’avantage des monuments, voire des stèles, que des lieux.

    Je peux dès lors comprendre que leurs gérants vivent cette situation comme schizophrénique : d’une part, devant le fait accompli de leur faillite, personne ne veut qu’ils ferment mais, néanmoins, peu de gens les visite. Ils sont donc presque condamnés, pour survivre, de ne jouer que sur le ramdam et tirer à tout va les cordes de l’émotion versus celles de la raison.

  6. Merci Tanguy pour ces éclaircissements et analyses !!!

    D’abord pour l’Arenberg : pour ma part, je n’ai pas signé la pétition à l’époque, mais j’y allais souvent et en effet, niveau fréquentation : je me demandais où étaient les gens qui ont signé…. La salle était bien souvent vide…

    « La meilleure parade contre cet appauvrissement socio-culturel serait que les Bruxellois fréquentent les ?lieux d?exception culturelle?. »

    Je dis +1000 exposant 1000 à cette phrase…. !

    Je sors pas mal, et ça me « tue » d’assister à un super concert et d’être 5 dans la salle, alors qu’ailleurs dans la ville des milliers de gens se pressent pour certains événements qui ne proposent rien de culturel.

    Le succès des « apéros » et autre bars éphémères en est un exemple et illustre ce qui compte plus que tout dans notre culture : boire (et crois-moi, pour moi qui ne boit pas une goutte d’alcool, c’est flagrant et je suis parfois bien mal reçue – aussi par les clients – avec mes demandes de softs… !) .

    Les gens sortent et consomment beaucoup.

    Mais pas de la culture de qualité (ni de la bouffe de qualité, ni de la bonne musique, ni des lectures de haut niveau).

  7. @fantôme : :-D !!

    Dans ce cas, je me demande ce qui en ferait une pétition à succès : le fait qu’elle récolte beaucoup de signatures ou le fait qu’elle n’en récolte … aucune car nous aurons été très convaincants dans notre texte ?

  8. Ton point de vue est très intéressant !

    Pour info, concernant la durée du bail :
    « Résolution du contrat de bail

    Si le locataire ou le bailleur ne respecte pas les obligations qui lui sont imposées par la loi ou dans le contrat de bail, l’autre partie peut demander au juge de paix:

    la résolution du contrat
    l’exécution complète du contrat

    Dans les deux cas, il peut aussi demander des dommages et intérêts. »
    http://www.belgium.be/fr/logement/location/bail/duree_et_fin_du_bail/resiliation_anticipee/resolution/

    S’il apparait que le locataire ne respecte pas les obligations, on est dans un cas où le bail peut être résolu.

    Par ailleurs, nous ne sommes pas dans un monde de bisounours où la bonne volonté seule est suffisante… La gestion d’une enseigne culturelle ou pas demande de la rigueur. Certains en sont conscients et s’appliquent, quitte à vendre une partie de leur âme au diable-capitaliste, d’autres l’ignorent. Ces derniers sont toujours rattrapés par leurs factures.

    Comme le dit le déserteur Tanguy, certains Bruxellois veulent garder des vestiges de leur mémoire dans le décor de leur ville, mais se gardent bien d’y mettre les pieds (voir de rester dans cette ville).
    Un peu à la manière des flamands extrémistes du TAK qui voudraient que Linkebeek soit flamande, ou de certains élus qui pensent que Molenbeek ne ressemble plus à l’image qu’ils en ont.

    Mais les villes n’appartiennent qu’à leurs habitants, et à ceux qui les font vivre. Il n’est que l’UNESCO pour classer et archiver, dans la vraie vie, des cafés et des théatres ferment leurs portes pendant que d’autres ouvrent les leurs ; Les quartiers évoluent au gré de leurs habitants, qui les forgent à leur(s) image(s) : Coloré pour l’un, bourgeois pour l’autre, alternatif pour un troisième avec une mince frontière où les genres se rencontrent…

    Le DNA ferme ? Qu’à cela ne tienne. Il ouvrira ailleurs, sous un autre nom, avec des gestionnaires mieux armés…

  9. @Yelyam : ok pour déplorer le succès des manifestations bibitives. Néanmoins, je ne peux croire que fondamentalement tous ces gens se trompent. S’ils prennent le temps et dépensent l’énergie de se déplacer pour s’y rendre, c’est qu’une motivation profonde qui dépasse l’enivrement les motive. Si boire de l’alcool était le seul mobile de leur déplacement, il ne le feraient pas. Ils resteraient cantonnés chez eux ou se réuniraient à quelques-uns dans des endroits bien chauffés et où se garer ne pose aucun problème.

    Pourquoi tous ces gens se réunissent si ce n’est pour deux raisons : rejoindre un ensemble et s’échapper du quotidien anxiogène. Rejoindre et s’échapper. Ces mouvements semblent antinomiques…

    Bref, ces gens se réunissent pour vivre la promesse d’une expérience commune, peut-être enrichissante mais surtout roborative, consolatrice et rassurante.

    A mon sens, voilà ce que doivent proposer les « lieux d’exception culturelle ». Non pas l’expérience (démotivante) d’un effort intellectuel mais la promesse d’un effet positif de troupeau et de reconnaissance communautaire quasi animale.

    In fine, il faut assumer un principe : la culture est un avatar de la vie humaine et non l’inverse. Dans l’ordre des priorités, la culture devrait toujours passer après le plaisir. Ou du moins, le servir.

    Bref, j’ai posté un commentaire sur un blog.

  10. Belle démonstration d’esprit critique !
    Une fois de plus, je m’interroge, proposes-tu de bien lire une pétition avant d’éventuellement la signer ou bien de se passer de toute pétition at all?

  11. Bonne question Stef :

    Je dirais qu’a priori je propose de bien lire la pétition avant d’éventuellement la signer…
    Ceci étant dit, pratiquant cet exercice depuis plusieurs années, il apparaît que je ne parviens jamais à signer de pétition… ou quelque chose me chiffonne, ou je considère que je ne suis pas assez renseignée pour apposer ma signature sur un bout de papier.

    A noter cependant que concernant la pétition Arenberg (que je n’ai donc pas signé), je ne « condamne » pas ceux qui l’ont fait : puisque je pense sincèrement que ce nombre de signatures a délivré un message.

    En conclusion : depuis l’une de nos discussions orales, j’ai revu mon jugement ;-) !

  12. Une simple question concertant le bail… peut-être ont-il repris les bails des précédents gestionnaires. Et n’avaient peut-être que 2 ans devant eux pour convaincre le proprio de leur filer un autre bail ?

    Ceci est une simple question, je connaissais bien les deux précédents patrons mais je n’ai jamais rencontré les repreneurs.

  13. Très bon billet. Merci Yelyam !

    Pour éviter la fermeture d’un endroit, le fréquenter aura plus d’impact que signer une pétition. Si les 39000 signataires de la pétition pour le Arenberg avait fréquenté le cinéma une seule fois par trimestre (par énorme si on aime vraiment un endroit), cela aurait fait 156000 entrées sur un an (soit 400 entrées par jour). Je pense qu’à ce niveau de fréquentation, la situation serait tout autre.

    Comme dit Yelyam, au lieu de signer une pétition de votre fauteuil, sortez et allez dépenser un peu d’argent dans les lieux qui vous plaisent… C’est la meilleure manière de les faire vivre :) Et si vous n’y allez pas, ne demandez pas à d’autres de les sauver pour vous ;)

  14. @Mat : C’est une bonne remarque et j’avoue avoir également pensé à cela, mais alors, si le contrat se termine bien maintenant, pas de résolution judiciaire nécessaire… donc on doit se dire que c’est l’avocat de la partie adverse qui donne des informations erronées… J’avoue que j’ai du mal à croire à cela (mais bon, comme indiqué dans l’article, je n’ai pas les documents sous les yeux, j’utilise simplement mon bon sens et les règles de base que je connais !)

    @Fransisco : thanks! :-) depuis ton arrivée, on essaye un peu de se creuser les méninges sur bxlblog !

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