Pénélope à Bruxelles?

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attaché parlementaire

Salaire démesuré, népotisme, favoritisme, opacité… Avec l’affaire Pénélope, le métier d’attaché parlementaire se voit associer des qualificatifs peu reluisants.

Etant moi-même ancien membre de la corporation des attachés parlementaires, voici un éclairage sur les questions qui pourraient vous brûler les lèvres.

C’est quoi être Attaché Parlementaire ?

Omerta

Une rapide recherche sur le Net conforte ma première impression, peu se sont épanchés sur le sujet. C’est compréhensible : quand on entre dans le sérail, c’est pour y faire carrière. Pas question de balancer. La discrétion est de rigueur : on ne mord pas la main qui vous nourrit. Demandez à Jacqueline G. ce qu’elle en pense. Peu d’infos donc, nourrissant de facto rumeurs et on-dit.

Profils types

Je les classerais en 4 catégories :

  • Les fils de et engagements complaisants : qui pour permettre au fiston de faire ses preuves, qui pour remercier d’un service rendu ;

  • Les pigeons et idéalistes : les militants qui ont battu le terrain en campagne jusqu’à ne plus en dormir et qui pensent avoir atteint le Graal Ultime. Manque de pot, c’est pour être encore plus pressurés ;

  • Les jeunes loups, pas spécialement les plus intelligents, avec les dents longues. Ils sont prêts à tout pour lancer leur carrière. Premières victimes : les collègues dont ils pavent le chemin de peaux bananes et dans un deuxième temps, le chef, dont ils rêvent de prendre la place.

  • Enfin, les experts, les intellos quoi ! Il en faut et heureusement : il y en a ! Ceux qui tiennent la baraque. Certains Députés en ont bien besoin : être élu ne signifie pas être directement opérationnel (voyez au PTB, après 2 ans, ils sont toujours en phase d’apprentissage…) ou tout simplement compétent. Pire encore, pour l’avoir vu en commission : des députés présentent de grandes difficultés de lecture…

La chose du chef

Un attaché parlementaire, ça signe un contrat avec son député. C’est souvent le parti qui propose les noms. Le recrutement s’est peu à peu professionnalisé : des examens ouverts à tous sont organisés. On repère aussi les jeunes pousses du parti actifs dans les organisations estudiantines : le shopping s’effectue au sein de ce vivier et les candidats sont très nombreux.

Le contrat signé, l’attaché parlementaire devient sa chose. Il ravale sa langue et fusionne avec l’ombre de son maître. C’est l’aller sans retour. Son vocabulaire se limite désormais à celui d’un enfant de 5 ans : « oui », « tout de suite », « j’arrive ». Et pas question d’entendre parler de certificat médical !

L’élu dispose d’un droit de vie ou de mort sur son collaborateur et ne se prive pas de le lui rappeler. En effet, les parlementaires, aussi bons sont-ils, ne sont pas formés aux ressources humaines : pas d’évaluation, des règles de travail qui changent comme les places de parking, licenciement du jour au lendemain, parfois violent…

Si la grande majorité des députés reste correcte avec leur employé, d’autres dérapent, et pas qu’un peu : insultes, menaces, pression continue,… Il y en a même à qui il arrivait de passer la nuit au bureau, qui devait s’occuper des enfants, des devoirs, et même assister aux réunions des parents !

Combien ça gagne ?

Au risque de vous décevoir, rien d’extraordinaire. Le salaire ne dépassait pas les 1800 euros. Pas de démesure donc. Et les avantages complémentaires me direz-vous ? Chèques-repas, assurance hospitalière et 13ème mois + Abonnement STIB.

Un attaché parlementaire peut-il espérer une carrière à la Publifin ? Non : l’attaché se voit parfois promu oui, mais à titre gracieux ! Pire encore : ces promotions déguisées sont pour eux sources d’ennuis : les bons éléments sont parfois désignés pour suivre une Commission particulière. Du travail en plus (souvent beaucoup), mais sans la rémunération qui devrait l’accompagner. Et là : le piège se referme : le parlementaire n’est pas content de voir son obligé ne plus prester exclusivement pour lui, une trahison ! L’attaché se trouve alors coincé entre le marteau et l’enclume.

Et les mandats ? Il y en a, non rémunérés bien sûr, et dont les autres (dans le Parti) ne veulent pas. Croyez-le ou pas : c’est dans ce cadre que certains attachés se révèlent et effectuent du très bon travail.

Dysfonctionnements, sexe et alcool

Clairement, dès le départ, des choses n’allaient pas. Le nombre de personnes travaillant effectivement était largement inférieur au pool de contrats à disposition. Des attachés étaient régulièrement assignés pour travailler avec des députés sur des projets alors que ceux-ci bénéficiaient pourtant d’un temps plein. D’autre part, des contrats mieux rémunérés, dits de groupe, existaient. Il était très difficile, voire impossible d’en identifier les destinataires. Qui et où étaient ces collègues invisibles ?

Plusieurs pistes : des contrats étaient offerts en guise de compléments de salaires. La technique en X était aussi régulièrement évoquée : le Député A engageait quelqu’un de la famille du Député B et le Député B engageait quelqu’un de la famille du Député A. La boucle est bouclée. Rien d’illégal donc, mais pour l’éthique, on repassera.

Une solution existe : la publication des noms de l’ensemble des collaborateurs actifs au sein des différents groupes politiques avec statut et fonction. Elle porte un nom : la transparence.

Le Parlement fédéral est le seul à encore offrir de l’alcool in situ. La presse l’a abondamment relayé il y a quelques semaines. Je n’ai jamais assisté à des débordements liés à l’abus de boisson. Seule exception : j’ai du, en pleine commission et sous le regard amusé d’un Ministre Centriste, lever le bras de deux élus afin de valider leur vote. Le repas de midi avait été très arrosé et les nombreux cafés ingurgités en catastrophe s’étaient avérés insuffisants.

Même topo pour les histoires de cul. Pas de révélations tapageuses. Un collègue était littéralement bleu de sa boss, qui le savait et en jouait, sans que ça n’aille plus loin. Pour le reste, une Députée s’était trop rapprochée de son attaché. L’idylle s’était achevée suite à une dispute mémorable à la sortie d’un ascenseur. L’histoire avait alors fait le tour de l’Institution.

Une relation amour-haine

Un attaché, ça aime détester son Député. Je crois même qu’ils sous-estiment notre attachement envers eux. On apprend à les cerner, les connaître et petit à petit, la personne qui se cache derrière le masque de la fonction se révèle. Elle est comme vous et moi : en proie aux doutes, fragile, avec parfois des situations familiales très difficiles. On devient progressivement leur confident, on les protège, les soutient et on s’inquiète même pour eux.

Mais en politique, pas question de montrer ses faiblesses. Être gentil et attentionné ? Une tare ! Quand je vous dis Dallas, vous pensez à qui ? Bobby ou JR ? Tout est dit…

Espoirs

Si elle n’a pas été facile tous les jours, mon expérience d’attaché parlementaire s’est avérée très positive. J’estime avoir eu de la chance : j’ai toujours travaillé pour des personnes réglos et qui m’ont beaucoup appris. Si c’était à refaire, j’y retournerais sans hésiter.

Scandales après scandales, la fonction politique est mise à mal. Complètement dégoûté, un Député expérimenté m’a récemment confié avoir honte de se présenter face aux gens. Il ne se sent plus capable, à l’heure actuelle, de mener une nouvelle campagne. Il songe sérieusement à quitter le milieu.

A y réfléchir, Pénélope, c’est vous, c’est moi. A l’instar de la figure mythique, nous attendons le retour des politiques intègres et dignes de confiance. Nous attendons d’eux qu’ils se révoltent face aux pratiques inexcusables de ce qui reste une minorité.

Ces politiques intègres existent, je les ai rencontrés.

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