le feuilleton de l'automne 1 : tout un programme

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1899

'Un jour, alors que je me promenais sur une avenue populeuse de Bruxelles, j'ai acheté toute la foule. Je loge dans un souterrain les trois mille cinq cents personnes les plus brillantes du monde, à charge pour eux de m'inventer des distractions nouvelles et de marcher en tête du défilé que j'organise à chaque changement de saison dans une ville récemment négociée pour annoncer au reste du monde qu'il finira bientôt dans mon caddie.â? Régis Jauffret, Microfictions, Harem Mondial, p. 329 de l'Edition Folio.

 

On ne peut pas passer son temps à s'embrasser. Ni à feuilletonner. Quoiqu'en automne, toutes les feuilles finissent par tomber.
Cette année, particulièrement.
Tous les jours, Griz ramassait des feuilles et des programmes et lisait. C'était touchant, toutes ces promesses.
On dit que nous vivons une époque cynique, et que l'individu est devenu odieux, et trop autocentré pour penser aux autres.
C'est faux. Il suffisait de voir tous ces volontaires à la fonction publique, plus ou moins engagés dans des mouvements plus ou moins officiels, débordant d'énergie, à la recherche de solutions pour changer le monde. Et tous ces déjà-élus bien pensants, égrenant des bilans forts, en osant des fantaisistes.
Oui, Griz (était bon public) aimait les élections.
Plus que l'automne.
Les programmes, ça la faisait rêver, comme quand on rencontre un homme et qu'il vous promet la lune, et vous y croyez. Il fallait positiver. C'était forcément possible. Dans une situation où la permanence était aussi fiable que la banque mondiale, Griz avait un motif de satisfaction. Persuadée de perdre la mémoire, ce qui est anxiogène et déprimant, elle se souvenait pourtant d'avoir vécu une campagne plus ou moins similaire, pas partout, hein, mais autour de chez elle. C'était une petite satisfaction, minime par rapport à tous les trous quotidiens, aux listes qui s'accumulaient, au manque de fiabilité (l »interdit bancaire n »était jamais loin). Elle découvrait donc les programmes, sans protester, on pouvait se répéter. La même chose, ça prouvait que les hommes politiques n'ont pas peur, on pouvait se répéter. La même chose, ça prouvait que les électeurs, malgré tout, aiment. Et ça permettait de constater, une fois les élections passées, combien la réalité était inflexible, face à la bonne volonté. Ou combien la communication était différente de l'action.

A suivre

Aliette Griz

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