bxl vu par… griz

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Je ne suis pas bruxelloise, et pendant longtemps, je ne me suis pas sentie bruxelloise, et ce n'était pas un problème, parce que Bruxelles est ce genre de ville qui n'exige rien, en matière d'adhésion, cette ville est un compromis, on peut l'habiter comme on veut, y croire ou pas, il y a énormément de gens de passage, et j'étais comme eux, je ne m'impliquais pas tellement, trop contente d'avoir trouvé un endroit où, malgré les crispations identitaires alentour, (ou peut-être à cause d'elles) on ne demandait pas de compte, j'avais l'impression d'avoir acquis le droit < > de venir de nulle part, pour aller nulle part. Mais, les années s'additionnant, le septième anniversaire approchant, oui, Bruxelles fait maintenant partie de mes villes, un peu plus, beaucoup plus que beaucoup d'autres que je n'ai pas autant tardé à habiter.

 

J'ai été une bruxelloise qui ne valait pas mieux qu'une touriste. Pas tellement mieux. Les touristes aiment les villes qu'ils parcourent, et cherchent (pour la plupart) à voir ce que les habitants vivent, à vivre ce que les habitants voient. C'est un beau programme, mais ça reste un programme. Je n'aimais pas tellement conduire, et je ne prenais que très peu le temps de découvrir la ville à pieds, ou en vélo, à part sur l'indépassable circuit qui part du Palais de Justice, descend vers les Marolles, Place du Jeu de Balle, chiner, (des malles, un téléphone grésillant, un pot à lait, que des choses de toute première importanceâ?¦) et, dans les bons jours, se terminer autour de la rue du Lombard. Mais jamais, je ne traversais jamais le Boulevard Anspach. J'aimais savoir qu'il était là, une frontière, assurée de toute cette vie de l'autre côté, une autre vie, mais sans moi. La Place Sainte-Catherine, c'était sans moi. Les Halles Saint-Géry aussi.

 

Au début, Bruxelles n'était pas ma copine, ça manquait d'eau (j'arrivais de Dublin, où je pouvais nager dans la mer toutes les semaines, j'étais sauvage et recouverte d'une combinaison intégrale, ça aide). C'était une ville du Nord, mais ce n'était pas Dublin. Je n'aimais pas tellement marcher dans la forêt, je tardais à pousser la porte de certains cafés, à passer du temps perdu dans les endroits publics, à sortir de mes rues qui basculent, et à voir quiconque d'autres que des visiteurs de passage. Je ne connaissais aucun bruxellois, ni de naissance, ni d'adoption, et quand je finissais par rencontrer d'autres habitants, ils déployaient l'exotique pedigree de l'eurocrate parfait : les Pays Baltes, la Russie, le Royaume-Uni, l'Espagne, etc. Bruxelles était assurément peuplée d'un peu de tout d'un peu partout, mais pas de bruxellois. Bruxelles était un port, d'où je décollais, au moins une fois par mois, je décollais. J'atterrissais. Avant de redécoller. Jusqu'à ce que je commence à rouler en voiture.

 

J'avais bien quelques habitudes à pieds, en tram, et même en métro, mais restreintes. Au début, je n'osais pas encore grand-chose. J'avais un peu peur de me perdre dans les tunnels, ou de me faire percuter sur la droite au premier, deuxième, troisième, à tous les carrefours. Mais assez vite, probablement un matin dans le bois, le grand frisson, j'avais un volant entre les mains, et des pédales sous les pieds, ça pouvait me mener assez loin, assez vite. La ville pouvait se révéler. (Ou moi, c'était plutôt moi, qui faisais mon coming out). Quelque chose se passait, entre nous, là, dans la voiture. L'adhésion, qui montait, en même temps que l'aiguille du compteur (je garde un souvenir ému des premières contraventions reçues ces mois-là…) Une fois lancée, plus j'en voyais, plus je me risquais, de Woluwe à Etterbeek, en passant par Koekelberg, pour me finir à Linkebeek. En voiture, je passais d'un côté à l'autre, je rentrais, je sortais, j'osais toutes les accélérations vers Anderlecht, je pilais consciencieusement à chaque carrefour de la Chaussée de Waterloo, pour descendre gare du midi, devenue une conductrice hors pair, à donf, les pieds en cadence, accélère, décélère, un peu vache et rageuse, bien lancée dans les tunnels.

 

J'ai tourné autour de la place Flagey les vendredis soirs, attendant ma place près des étangs, (au début de l'avenue du Général de Gaulle), j'ai tenté les créneaux les plus fous, entre deux trams, sur des pavés trempés, en côte, à cheval sur un trottoir, les warnings en berne parce que c'est illégal, (concernant les warnings, je suis toujours restée très correcte.) Et j'ai fini par tendre le poing, le juron au coin des lèvres, vers la camionnette polonaise, le SUV corps diplomatique, ou le coupé-cabriolet d'Uccle, qui me barrait ou à qui je barrais la route abusivement.

 

Alors, c'est vrai, j'ai pris mon temps pour que quelque chose d'un peu plus constructif qu'un vague sentiment d'avoir échoué là pour quelques années, deux, trois, maximum cinq, se transforme en envie de plus, en attachement progressif, en contrat à durée indéterminée. Mais ça valait le coup. La bagnole, donnez-moi une bagnole, et je deviens bruxelloise sur le champ.

 

Aliette Griz

3 COMMENTS

  1. Bienvenue, Aliette, sur bxlblog !!

    De chouettes textes que tu nous ponds là… agréables à lire et qui donnent envie de parcourir la ville, à pied, à vélo ou…. en voiture !!

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