C’est la merde…

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Ma copine Aliette Griz suit un peu trop à la lettre notre rubrique « Lève la tête« … Du coup, elle fait face à quelques emmerdements et elle a envoyé un courrier au Bourgemestre d’Ixelles (qui n’a jamais répondu)….En voici une version légèrement modifiée pour les lecteurs de Bxlblog….

Cher tous,

Un landau-cobaye ' diversion avant le gros morceau

J’étais en train de marcher dans la rue l'autre jour, je marche souvent dans la rue avec mon landau, je promène mon bébé tous les jours. Les roues avant sont lisses. Ã? l'arrière, les roues sont crantées, elles ont une très bonne tenue de trottoir, c'est un landau réputé pour sa maniabilité. Des roues antidérapantes, avec des pneus qui laissent une marque régulière dans l'eau de pluie, (j'ai même déjà roulé sur la neige, en admirant l'adaptabilité de l'engin). Cette poussette est vraiment conçue pour la ville. Les ingénieurs ont fait un remarquable travail de conciliation des fonctions les plus complémentaires : la promenade, le design, le faible encombrement. Elle a été conçue pour faire face à toutes les situations.

Toutes sauf Une.

On peut être citadine et aimer prendre l'air, regarder le ciel. Chaque jour, je longe des rues je traverse le parc, je remonte par le trottoir de droite, (probablement la section la plus dangereuse.) Je croise d'autres landaus, d'autres hommes ou femmes, seuls. Ixelles est une commune multiculturelle. Il y a des belges et des expatriés, des jeunes et des moins jeunes, des chiens et des chats. Sans compter les perruches et les pigeons. Il y a aussi des gens installés sur des bancs, avec leurs chiens en laisse. Les chiens qui se promènent, comme tout le monde.

La vie collective, c'est quoi ?

Quand je me suis installée dans le quartier, on m'a dit que c'étaient les plus belles rues, tu vas voir, quel quartier.

Les perruches de la place Guy d'Arezzo. Je pousse parfois jusqu'à l'avenue Lepoutre, je remonte vers la place Brugmann. Il y a des arbres tout le long de l'avenue Lepoutre, je suis toujours tentée de lever la tête, vers les feuillages, le ciel à travers les feuillages, les façades des hôtels particuliers, mais il ne faut pas.

Parce que que, partout, sur le trottoir, mes yeux de lynx balaient le trottoir, mes yeux de lynx scannent le moindre monticule et je les évite. J'essaie de les éviter. Le landau-cobaye va-t-il les éviter ? Le plus souvent, non. Le landau-cobaye les attire (les ingénieurs ont pensé à tout, sauf à ça. On peut penser à tout, mais oublier un léger détail qui pue.)

Ce n'est pas toujours possible d'être un lynx quand on pousse un landau dans la ville. Je rentre chez moi et c'est l'heure de vérité, je regrette d'avoir levé la tête.

En plein dedans

Souvent, j'en prends une, et c'est la merde. Tous les jours, c'est assez souvent. J'aime tant regarder le ciel et les façades, je ne peux pas m'en empêcher. Tous les jours.

Ã? Ixelles, il y a de belles façades, ça fait rêver. Mais tous les jours, c'est très dangereux, de regarder vers le haut. C'est très dangereux d'être crédule. C'est assez décevant de voir loin avec des yeux de lynx.

Tous les jours, il y a des promesses merdeuses et des merdes pleines de promesses. Des petites toutes rabougries, et des grosses dégueulasses et mollassonnes. Je rentre chez moi, j'ai vu des rues d'Ixelles, j'ai fait passablement attention, c'est vrai, je fais souvent attention, mais pas complètement, je suis un peu distraite tous les jours, et je n'ai rien contre les chiens.

Peut-être que les crottes sont là pour nous rappeler que nous sommes accrochés à la terre, que nous sommes des merdeux accrochés à la terre ? Je n'aime ni la grossièreté, ni la merde, mais malheureusement, les deux se conjuguent avec une constance plombante sur les trottoirs d'Ixelles. Ã? force, on ne les voit plus. Mais certains jours, on les sent quand même.

Le landau-cobaye qui tape sur les nerfs

A l'arrière, c'est un peu la routine. Les grosses roues crantées, c'est trop tentant. Il y a sans doute une loi naturelle, quelque chose de l'ordre de la fatalité, mais quoiqu'il arrive, on en chope une. De préférence à droite. Pourquoi ? Je me suis souvent posé la question en démontant la poussette, c'est très bon pour se faire les muscles, après une bonne journée à s'occuper d'un bébé, de terminer en démontant les roues de la poussette pour les nettoyer, avant de les remonter. Ã?a exerce la souplesse des genoux, l'agilité des doigts et la rotation des poignets, c'est un exercice assez complet. Ã? force, on s'habitue à tout. Mais je ne m'habitue pas. Moi qui suis quelqu'un de posé, calme, douce, je m'énerve.

Les roues avant étant lisses, ça limite les dégâts, mais la merde peut se coincer dans la gouttière qui les entoure. Il y a déjà eu de la merde assez gluante pour s'y coller. (Ã?a ne m'est jamais arrivé d'avoir des merdes coincées dans les deux gouttières, et je préfère ne pas y penser.)

Seules les merdes les plus molles parviennent à s'enrouler sournoisement autour des petites roues pour finir par s'infiltrer complètement dans la gouttière. (Qui les protège ensuite de tout risque d'être délogées.) En général, les merdes molles sont des merdes qui puent. Quand on a une merde qui pue bien arrimée à sa poussette, qui ne peut être extraite qu'en y mettant les mains, ça se termine par une telle crise de rage, qu'elle éclipse toutes les révoltes quotidiennes contre les merdes arrières.

A force d'enliser le landau-cobaye, j'ai réfléchi. J'ai bien réfléchi et j'aimerais mettre mes idées au service des autres piétons de cette commune. La propreté, ce n'est plus un détail quand on en arrive au point critique de l'emmerdement maximum.

Le constat est simple : il y aura toujours des merdes et des landaus sur les trottoirs.

La possession d'un landau permet de mesurer à quel point les merdes n'ont rien à faire sur les trottoirs, puisqu'une merde sur un trottoir ne demande qu'à s'accrocher au premier passant ou à la première roue venus pour finir, au mieux (tout est relatif) sur le paillasson d'un immeuble ou d'un appartement, et au pire (c'est le pire qui m'a fait écrire cette histoire, le pire d'un retour à la maison où la merde a triomphé en long, en large et en travers. La merde sur les roues, sous les chaussures, la merde qui s'est collée au sac accroché à la poussette, enfin, la merde sur le tapis aspiré tous les jours, puisqu'il sert aussi de vestiaire à bébé, et puis l'horreur, à l'idée, ce n'est encore qu'une idée, mais il faut, c'est impératif, il faut absolument éviter que la merde termine sur le bébé lui-même. Il n'est pas pensable qu'un innocent bébé soit emmerdé.)

La situation actuelle a amplement démontré qu'il n'est pas possible de compter sur un prétendu civisme des propriétaires de chien qui, malgré la meilleure volonté du monde, ne pourront pas empêcher leurs chiens de laisser des déjections sur leur passage.

Une fois acceptée la réalité de cette situation, une fois qu'on sort de l'inutile débat < > sur la responsabilisation à 100% des propriétaires de chiens pour lutter contre le fléau, puisque ce raisonnement ne permet pas d'éviter l'emmerdement croissant dont nous sommes tous les victimes, il faut réfléchir à d'autres moyens pour se protéger des étrons.

Si l'on ne peut pas empêcher les chiens de faire sur les trottoirs, il faut, parallèlement à l'incitation à ramasser (une solution apparemment excellente mais imparafaite), trouver d'autres moyens de se protéger. Ceci, en évitant la spirale contrôle / sanction : vivre dans des rues fliquées au dernier degré ne serait pas plus agréable que d'être emmerdés.

Quelques pistes tordantes (à creuser)

  1. Lutter contre l'inertie.(Cette lettre n'est peut-être pas le moyen le plus percutant pour lutter, mais chacun ses moyens.)Aujourd'hui, la merde emmerde tout le monde, mais malgré les sacs à merde, les canisites, les propriétaires de chiens qui ramassent (j'en ai vu), et le nettoyage des merdes, il reste de nombreuses offrandes pour tous les landaus-cobayes. La merde sur les trottoirs est devenue un élément presque banal.

    Il faut donc rendre à la merde ce qui appartient à la merde, il faut dessiller les yeux de lynx des piétons, afin que chacun réalise qu'être entourés de merde n'est pas une situation banale. La destinée de la merde, c'est d'être rassemblée quelque part au loin, pas d'être disséminée au milieu de nous.

    On pourrait, par exemple, signaler la merde de façon ludique, par une distribution de merdes en plastiques, à poser sur le trottoir, sur lesquels sont inscrits des messages tels que : « Ceci n'est pas une merde. », « Attention, une merde peut en cacher une autre. »

    Ou encore, organiser un vote de la rue la plus emmerdée et afficher une banderole sur laquelle serait inscrite « merci à tous les chiens qui ont permis à cette rue de gagner le trophée de la rue la plus emmerdée », (la prise de conscience par l'ironie).

  1. Remplacer au moins la moitié des canisites, peu visités mais nombreux, par des lavomatiques à merde : un tuyau d'arrosage, ou une sorte d'extincteur, une brosse, et voilà. Les landaus sont suffisamment nombreux pour amortir ce genre d'installation, sans compter qu'on peut imaginer que tout piéton, cycliste, et autre victime de la merde, serait satisfait de pouvoir se débarrasser de son bagage dégueulasse ailleurs que chez lui.
  1. Le kärcher mobile. A intégrer aux nouveaux sites « lavomatiques ». Le kärcher mobile permet à tout citoyen qui voit une grosse merde de lui barrer la route, de l'asperger et de la diluer vers le caniveau.
  1. Le vote d'une taxe payée par tout propriétaire de chien(pas une grosse taxe, mais une taxe quand même.)L'argent ainsi récolté permettrait de financer quelques mesures de démerdage. L'idée est apparemment absurde, et peut-être choquante, mais, tout bien réfléchi, ne serait-il pas logique que les propriétaires de chien montrent ainsi leur solidarité vis-à-vis des autres piétons ?Une taxe proportionnelle à la taille du chien, étant entendu qu'un gros chien laissera de grosses marques, des kilos de merde, quand un petit chien ne déposera que quelques grammes presque insignifiants. (mais il n'y a rien de pire que ces petites merdes qu'on trouve partout, d'autant plus répandues que les propriétaires de chiens à petite merde doivent se dire que ce n'est pas une petite merde de plus ou de moins qui changera grand-chose à l'affaire.)

Ce texte est sans doute un peu long, et, de l'avis de mon mari, on finit par être écÅ?uré par la répétition du mot de Cambronne. EcÅ?urée, oui, ça m'arrive souvent. J'espère pourtant que vous lirez, (et approuverez) j'espère (je suis optimiste), que les choses vont changer.

En vous remerciant tous de votre attention, je vous prie d'agréer, mes salutations emmerdées.

Aliette Griz

4 COMMENTS

  1. vu près de chez moi: les gens entourent les étrons d’un gros cercle à la craie et mettent un mot bien « senti » à l’attention des maîtres qui laissent leur chien faire ça sur les trottoirs. Et je me suis toujours dit que si un jour j’en croise un je ramasse la merde et je lui colle sur la figure…

  2. Mais oui (encore) une taxe. Et pourquoi pas faire un compte rendu en fonction de la solidité de la merde ? Si j’en crois ton expérience, les plus molles sont les plus puantes et les plus accrocheuses. Mais peut-être que certaines races défequent plus d’un type. Ou alors c’est à chercher du côté de l’alimentation et obliger les propriétaire à faire bouffer telles croquettes à leurs chiens pour leur éviter la coulante. Je comprends que cela vous dérange mais il faut arrêter de vouloir tout réglementer. Et j’ai envie dire, pourquoi on interdrait pas les landeau finalement ou imposer une taxe à leur propriétaire ?

  3. Autre solution : faire cheminer les chiens dans le caniveau peut-être? D’accord, un peu compliqué avec les voitures garées trop près du trottoir! Courage! L’idée du lavoir-à-roues est la meilleure.

  4. @lapommeduverger : ce serait chouette si les proprio le faisaient plus souvent, c’est clair !

    @Poulett: le problème avec le fait de le lui coller à la figure, c’est qu’on est un peu obligé de s’approcher un peu trop près de la source de l’ennui… beurk ! ;-)

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