C’est tramatique 5/5

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La cinquième fois, que j'ai voulu prendre le tram, je le voyais de loin, il allait s'avancer, déjà un peu en retard, moi aussi, il était temps. Mais un problème, l'aiguillage l'avait dérouté, il n'était pas arrivé pas au bon endroit. Il était stoppé cinquante mètres avant le quai. Personne ne bougeait, l'habitude. Ã?a finirait bien par s'arranger.


Le conducteur devait faire quelque chose, c'était sûr, et effectivement, il se levait, traversait son tram, pas pressé, aucune précipitation dans ses pas, comme si tout était prévu. C'est pratique un tram il y a un poste de pilotage de chaque côté, mais il faut quand même se décider à s'engager dans un sens. Le conducteur n'avait pas l'air sûr de lui : une fois arrivé, il avait fait demi-tour, et était retourné s'installer dans le poste avant. L'avant, l'arrière, dans un tramâ?¦ C'est très relatif. Peut-être que le chauffeur hésitait. En tout cas, il passait et repassait d'un poste de pilotage à l'autre, plusieurs fois.

Le tram ne repartait pas.


Sur le quai l'inertie était à son comble, je comprenais mieux les problèmes d'horaires. S'il faut chercher sans cesse vers quelle direction aller, ça complique : 'alors, j'y vais ou pas, oui, bientôt, presque, quand je serais prêt.â? (simulation du discours interne possible du chauffeur de tram).



Je me sentais, moi aussi, excusée, si le tram n'y parvenait pas, pourquoi moi, sans horaires estampillés, serais fiable, quand lui au détour d'un aiguillage, prenait dix bonnes minutes de retard ? Pourquoi mon histoire, aurait-elle une chute, une vraie, après avoir suivi le parcours linéaire qui pouvait la mener de mes rencontres ordinaires à un dénouement extraordinaire ?


On s'installait dans une espèce de nouvelle action, où le chauffeur traversait et retraversait son tram, comme un galérien, sa cellule, sans aucune explication. (D'un autre côté, il était trop loin, on ne pourrait pas l'entendre, s'il s'adressait à nous pour nous commenter ce qu'il faisait.) L'homme finissait par ouvrir la porte, et descendre. Un moment, je croyais qu'il s'était décidé à faire la grève  maintenant, tout de suite : cet homme allait montrer d'un seul coup d'un seul que les choses devaient changer, il nous préparait quelque chose, un happening, c'était peut-être le symbole, vivant, de nos apories. Il allait partir droit devant lui, qui sait s'il ne se déshabillerait pas, ça s'était déjà vu, un signe fort, l'homme providentiel c'était peut-être lui, mais pas du tout.


Il ne faisait que son travail, s'accroupissait devant le tram, (jusqu'où irait sa performance ? Pour le moment, nulle part.) Ã? plat ventre pour régler l'aiguillage, rien de plus, il fallait attendre, attendre, encore attendre, alors on attendait. Puis, il avait finit par se relever, remonter dans sa cabine, le tram s'était avancé jusqu'à nous, c'était presque décevant, on s'était installé sans bousculade.


Je me sens souvent tram engagé, dans un mauvais aiguillage, on peut s'engager, mais reste à ne pas se planter de voie, sinon marche arrière, grève arrière, vers l'avant, ça paraît simple, allez, un tram ne fait pas demi-tour comme ça.


C'est ainsi que se termine le feuilleton de mes aventures en tram. Par la suite, j'ai arrêté d'écrire. Pendant deux ans. Et puis un été, il y a un an, j'ai eu envie d'écrire sur la ville, sur ce qui se passait dans la ville. Mais les histoires, aussi, de temps en temps, ça fait du bien, de se raconter des histoires, de relire ces vieux carnets, de trouver les liens, et de se dire que je vais reprendre le tram, pour retrouver ce flamand pas assez dragueur. La fille très belle a sans doute un peu vieilli, je ne la reconnaîtrais peut-être pas. Avant tout, j'ai envie de prendre rendez-vous avec Monsieur Détecteur, pour parler un peu poésie.

Aliette Griz

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