la honte sans pop corn

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le 7 dans le colimateur

Shame Steve McQueen 2012
quelques critiques et avis 

Les horaires des séances à Bruxelles et en Belgique :

Avant-propos. (Les lecteurs pressés peuvent passer directement à la séquence Bruxelles…) Il y a très longtemps, je voulais écrire des critiques de cinéma, je l'ai même fait, une ou deux fois, pour ressasser deux trois trucs à propos d'un film, dans un sens ou dans un autre, comme ça venait.

Et aussi, à un moment, j'en lisais, souvent, et, à part celles de Gérard Lefort à qui je pardonnais tout, (scandale et jouissance sont les mamelles des critiques de Lefort, les autres, je regrettais souvent les prises de tête dégommant et encensant à la mode de Paris, j'avais même parfois l'impression que les critiques ne regardaient pas vraiment les films, parce qu'il fallait à tout prix hiérarchiser et juger. Un critique sait ce qu'il faut voir et aimer et il te le fait savoir. Moi, franchement, je regarde le film et j'essaie de passer un bon moment. En général, ça marche. (hum, sauf quand Lars Von Trier est derrière la caméra , ou que je me fais des frayeurs en mode Saw.)

Mais c'est resté, cette envie. Et cette année, une année qui commence, c'est l'occasion de faire le compte des envies à problèmes, et d'en résoudre : je vais écrire quelques lignes sur quelques films vus. A la mode de Bruxelles. Tous ? Certainement pas, j'ai déjà esquivé A Dangerous Method de Cronenberg (mais j'y reviendrais peut-être) et Ma part du gâteau de Klapisch (je vois plus de films dans mon salon qu'au cinéma, ça aussi, ça limite la crédibilité critique).
Ã?a sera donc irrégulier, et anarchique, ni linéaire ni chronologique, on va voir ce qu'on va voir.

Bruxelles, un lundi soir. Il pleut, un peu, (est-ce que le cinéma n'a pas été inventé pour les jours de pluie? Est-ce que le cinéma n'a pas été inventé pour Bruxelles ?) l'entrée de l'UGC Toison d'or est plutôt vide, (mais il ne faut pas se fier aux apparences, la salle sera comble), les automates dociles, les vendeurs de pop corn affairés. Voici Shame, le cru du soir, en avant première. La Guest List est à l'entrée, il y a pas mal de têtes d'invités partout, (malheureusement, pas nous), mais on y arrive aussi, dans la salle, bruissante de pop corn et ma faim s'avive (résolution 2012 : ne plus manger de pop corn au cinéma, un challenge).

A quoi ça fait penser ? Si tu aimes le vide et les apories des films de Sofia Coppola, tu vas aimer Shame. Si, comme moi, tu préfères ceux de Darren Aronofsky, (jusqu'au bout des peurs qui mènent quelque part, désastre inclus) tu risques de douter, faut voir. Je l'ai énoncé comme ça, dès le générique fini, (on donne toujours son avis à la fin d'un film), et j'étais embêtée, parce que je savais, j'ai même rougi, que si je faisais des films, sûrement que ça ressemblerait à Shame, il ne se passerait pas grand-chose, avec peu de personnages, dont on saurait le minimum, il y aurait des images, peut-être même des belles images qui tirent les corps vers l'abstraction des formes, et l'intrigue fortuite se bouclerait comme elle aurait commencé, en suspens.

Le film. Entre les gros plans et les lumières tamisées, il y a du cru, (le titre, c'est quand même Shame, la honte est un peu partout), on peut voir Michael Fassbender faire pipi pour de vrai (quoique de dos, c'est sûrement la doublure, pff) on peut voir de l'amour tarifé, et des corps coupés, surtout quand ils sont nus, on voit des trois-quarts, des troncs, des mouvements explicites, en mode vidéo clip ultra lent. 'Slowlyâ?, c'est une des premières répliques de Brandon, l'anti-héros sex addict. Slowly, c'est un art, jusque dans l'interprétation de New York New York de Sissy, la soeur (Carey Mulligan). On peut dire, et c'est sûrement une qualité dans un monde hyper-kinétique, que le film prend bien son temps, et ne s'embarrasse pas de personnages superflus ni d'une intrigue inutilement complexe. Il ne se passe pas grand-chose, donc, mais en musique : bande son ambient et Bach version Glen Gould. Dans une vie de célibataire au demeurant parfaitement banale, un peu laborieuse, un peu éduquée, un peu esthète, Brandon se purifie les oreilles, à défaut de savoir doser et apprécier ses plaisirs.

Du côté des clichés, on apprend que les Irlandais sont de fieffés pervers, (toute nation a ses petites faiblesses), qu'un homme sex addict se promène souvent tout nu chez lui, que ce genre d'hommes a une classe naturelle et une capacité de séduction hors du commun, (il faut bien des compensations), que les boîtes à partouze sont des lieux de perdition (qui en doutait ?), que c'est extrêmement difficile de devenir chanteuse, et que la nuit, on peut courir tranquille dans les rues, quand on n'en peut vraiment plus de soi.

Une piste, pourtant, s'il fallait retenir une piste, en l'espace suspendu d'1h40, sur toutes ces histoires de coïts, le cul dans un fauteuil entouré de rumineurs de pop corn, s'il fallait dégager quelque chose qu'on ne voit pas à l'écran, mais qui est présent : oui, le film suggère, non, il ne prend pas la peine de l'expliquer, son côté tragique. Le personnage, son mal et sa soeur sexy, sont du genre Atrides, maudits , du côté du destin. Ã?a arrive, et ça n'aide pas, à trouver sa place dans le monde.

A voir ? A toi de choisir, si tu lis les Inrocks, tu vas sans doute grincer des dents devant cette « parabole emphatique et pesante sur la solitude et le sexe triste, où se dresse quand même Michael Fassbender, acteur turgescent »
(Mais le film est surtout vide et lent, pas tellement emphatique et pesant, non ?) Si tu adores Elle, tu courras te délecter d'un « film troublant et inoubliable ».
Entre les deux, Libé titre 'Baise de tensionâ?, (bien vu) et Philippe Azoury signe le prototype de la critique parisienne, pas trop méchante, ni trop brillante, un peu cabotine, quand même.

La morale de tout ça ? Alors, l'addiction sexuelle, c'est mal ou c'est bien ? Le film ne tranche pas, (c'est un mérite), et montre en plans hachés (Steve McQueen connaît la grammaire cinématographique et l'utilise : vu du ciel, gros plan, champ, contrechamp, plan séquence, et tout, il y a tout, du flash-back, du déjà-vu, toutâ?¦) et avec peu de mots que ça fait souffrir un peu beaucoup, la honte d'être esclave de son sexe, que ça empêche l'amour et tout autre forme de lien affectif. Le mec parfait a une vie d'enfer.

Le dernier mot… Mais, tu peux voir ça comme tu veux. Le film n'impose rien, Steve Mcqueen, dans une interview dit qu'il n'a pas à expliquer ce qu'il fait, (autour de 5.19 dans la vidéo). Le film accorde une étonnante liberté à ton regard, chaque spectateur peut, écrire sa variation à lui (Bach n'a pas dit son dernier mot) : si tu veux, il regrette son état, si tu veux, il s'en accommode pas si mal, si tu veux, la soeur chante bien, si tu veux, elle est camée et foutue, si tu veux, il aime aussi baiser sans états d'âmes, si tu veux, il n'a pas le choix et ne jouit jamais, si tu veux, il déteste sa soeur, si tu veux il est extrêmement un peu trop attaché à elle. Et à la fin, c'est pareil : si tu veux, tout recommence, mais tu peux tout aussi bien voir que c'est fini.

 

Aliette Griz

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